Magie, Sorcellerie & Croyances

La Magie est l'art d'agir sur les forces occultes, que ce soit pour nuire à un ennemi ou au contraire pour protéger ou guérir ceux qui sont atteints par des puissances maléfiques. Dans le premier cas, on parle généralement de magie noire ou de sorcellerie, et dans le second, on parle de magie blanche.

La Corse désigne par le terme de ochju (oeil) les forces occultes dont un individu est victime.

Le mauvais œil peut-être donné par les vivants c'est << innochju >> ou par les morts, << imbuscada >>.

Souvent conséquences de sentiments troubles tels que la jalousie ou l'envie.

S'il est atteint du mauvais oeil, il doit faire appel à celui ou celle qui possède le pouvoir de le "chasser", ou de le "briser"..."crucia l'occhju" (conjurer le mauvais œil).

Seuls le signadore et la signadora, doués de pouvoirs extraordinaires, qui guérissent l'âme ou le corps, sont capables d'exorciser le mal, par des techniques appropriées, qu'ils ont acquises par initiation.

La Tenidora, voyante, guérit à distance par incantations.

Les cérémonies de purification s'accompagnent d'une incantation que l'on apprend exclusivement la nuit de Noël.

Jean-Claude Rogliano dans son roman "Mal Concilio", décrit une scène d'exorcisme : << Quand l'huile fut chaude, la signadora en fit tomber quelques gouttes dans l'eau de l'écuelle. Avec la même main, elle ne cessait de faire des signes de croix au-dessus du récipient de terre tandis que Rosana répétait après elle toutes les prières de l'incantesimu. enfin, elle lui apprit à découvrir dans la forme des taches d'huile surnageant dans l'eau les causes du mal et les moyens de le faire disparaître .>>
La transmission se faisait autrefois en famille , et en génération alternée :de grands-parents en petits-enfants.

Si l'on dévoile les prières, "e prigantule", du rituel, ou si on les transmet hors de la date voulue, le pouvoir est perdu.

Cette date est dans toute la Corse, celle de la nuit de Noël. Dans certains endroits, on étend la période de transmission aux septs derniers jours de l'année (de Noël au jour de l'An). Les dons de la signatora ne se limitent pas à conjurer le mauvais oeil, ils soignent aussi certaines maladies auxquelles on n'attribue pas de causes magiques : piqûres d'insectes par exemple.

Le thème de la magie et de la sorcellerie est corollaire à celui de la médecine populaire, l'un et l'autre entretenant souvent des rapports étroits dans la tradition.

L'homme corse continue à vivre à la frontière du surnaturel :
C'est ainsi que le jour de l'Ascension, avant même que le soleil se lève, il s'en va cueillir une petite plante grasse porte-bonheur. Il la conservera chez lui sans racines, sans eau, sans terre et la plante continuera pourtant de fleurir. Le contraire serait considéré comme un grave signe de malheur.
Il recueillera également des œufs pondus le jour de l'ascension. Ils ne pourrissent pas et servent de talisman pour les jours d'orage ou d'incendie...
" U panu di San Roccu e di San Antone ", ce pain ne moisit jamais, on peut le garder intact jusqu'à la fin de l'existence, il protège les foyers.
 

La Sorcière :

Le personnage de la sorcière, "streie", se présente en Corse avec les traits classiques de son statut d'anti-mère : au lieu de donner du lait aux enfants, elle suce leur sang. La sorcière opère surtout dans les maisons, dans lesquelles elle s'introduit par le trou de la serrure.

Elle s'approche des berceaux et suce le sang des enfants endormis, à la manière d'une belette, dont elle prend souvent la forme.

Elle est à l'aise dans l'impair : si on frappe une belette-sorcière, il faut, pour la tuer, lui assèner un nombre pair de coups, sinon elle est sauvée.

Certains bandits, dans le maquis, ne marchaient jamais qu'en nombre pair, par crainte de rencontrer des esprits.
Pour se protèger des sorcières et des sorciers (un homme peut être strigone ou surpatore) on emploie des loquets de bois sur lesquels leurs charmes se brisent. On peut aussi leur opposer des morceaux de corail qui entrent dans la composition des amulettes et des scapulaires ; ou encore, l'unghja di a Grande Bestia (longle de la grande bête) qu'on allait chercher dans un pays lointain ; ou encore la petra quadrata (magnetite ou pierre d'aimant) qui, attachée à la jambe gauche, rend infatigable.

On peut aussi accrocher à la porte ou mettre sous son oreiller une faucille dentelée ou un peigne de métier à tisser : les sorciers qui ne savent compter que jusqu'à sept, perdent leur temps à compter les dents de la faucille ou les lamelles du peigne et quand l'aube arrive, ils sont contraints de s'enfuir sans avoir pu faire de mal.

 

Les Bergers lisent les augures :

Les bergers, en contact permanent avec la nature, étaient passés maîtres dans l'interprétation des signes. Ils immolaient un chevreau puis "lisaient" l'avenir dans son omoplate. C'est ainsi qu'un vieux berger aurait prédit, au début du premier Empire, les ravages que Morand et ses troupes firent subir à l'île en 1808.

 

Le "Mucchiu" (le tas) :

Lorsque survenait une mort violente, chaque passant jetait une pierre là où l'accident s'était produit. Et cela jusqu'à ce qu'un nouvel accident mortel vienne calmer l'âme du défunt.

 

Les Esprits du Brouillard :

On les appelle les lagramanti, sans doute parce qu'ils inspirent une terreur égale à celle que répandaient dans l'île les razzias d'Agramant, un cruel chef Sarazin. Ce sont les Esprits du Brouillard et on ne les voit jamais. Par les nuits ténébreuses et gorgées de brumes, on entend seulement leurs plaintes qui intriguent le voyageur et l'attirent vers le marécage, ou leurs hurlements qui le terrorisent et le jettent dans une fuite éperdue vers le torrent ou le précipice.

 

Les Processions de Revenants :

Âmes en peine, esprits des brouillards qui entourent et se saisissent des passants attardés par les chemins déserts : lagrimenti et mortuloni vont en compagnie (cumpania mumma, squadra d'Arozza).

Chacun des processionnaires, habillé de blanc, en pénitent, tient un cierge à la main. Malheur à qui les rencontre. Il lui faut se plaquer contre un mur pour éviter d'être complètement enveloppé par ce fleuve d'ombres psalmodiantes, et tenir dirigé contre eux un poignard ou un simple clou. Si l'un des processionnaires lui tend son cierge, il ne doit pas le prendre, car il découvrirait en rentrant chez lui qu'il s'agit du bras d'un enfant.

Pour se libérer il lui faudra annoncer trois dimanches de suite, à la messe qu'il est devenu un sorcier, et attendre à nouveau le passage de la procession des morts. alors il donnera le cierge à celui des processionnaires qui n'en a pas.

 

Les morts des torrents :

Au passage d'un gué ou d'un pont, on jette une pierre dans le torrent que l'on traverse. C'est pour apaiser les esprits des morts qui, selon une ancienne croyance, en habitent les eaux. Celles-ci représentent symboliquement le fleuve des Enfers. Les trépassés dont l'âme était noire de leur vivant y transportent leur malfaisance. Ceux-là sont à craindre du passant qui risque d'en subir les effets. Le mal qui le frappe est alors appelé l'imbuscada.

<< Lorsqu'on passe le gué d'une rivière à midi et lorsqu'à la tombée de la nuit, le trajet que l'on emprunte oblige à passer devant un cimetière ou une fontaine, on risque de tomber dans une embuscade de mauvais esprits.>>

La victime dépérie jour après jour sans que les médecins soient d'aucun secours. Leur dernier recours est ceux qui, avec des prières secrètes, ont quelque pouvoir contre les esprits maléfiques.

 

Les Bourrasques des Morts :

Les morts déclenchent également autour des maisons, de violentes bourrasques, quand ils n'y trouve pas l'eau qu'on doit toujours laisser sur le rebord de la fenêtre la nuit, et où ils viennent s'abreuver.

 

L'Asphodèle :

Certaines plantes aux vertus sacrées sont cueillies dans le maquis puis brûlées en fumigations destinées à lever les maléfices et à protéger hommes et troupeaux des envoûtements.

Pour mettre la récolte de blé à l'abri de la convoitise du diable, on plaçair une croix confectionnée à l'aide de deux tiges d'asphodèle.

 

L'aire à blé :

Sa forme cyclique, son emplacement exclusivement rural et sa vocation à rassembler les gens pour un ouvrage collectif, en font un lieu privilégié pour une symbolique de correspondances horizontales et verticales : lieu où l'on se retrouve pour un travail agraire, et par là tellurique, destiné à traiter la céréale pour pouvoir se nourrir, l'aire à blé est le champs d'action des forces ouraniennes, l'endroit où le monde intangible exerce son pouvoir.

Peut-être ce rassemblement pour lequel il a vocation fait-il de lui une sorte d'Eglise païenne, lieu d'échange entre le visible et l'invisible. La symbolique qu'il revêt oscille elle aussi entre le bien et le mal et comme la spirale, évoque un mouvement perpétuel entre la vie et la mort : outil de travail pour la vie le jour, il devient lieu de sabbat et de sacrifices la nuit par certaines lunes.

 

La Bure de la guérison :

il n'était pas rare, autrefois, de croiser de curieux petits moines dont l'âge ne semblait pas dépasser douze ou treize ans. Ces enfants n'étaient promis à aucun sacerdoce. Ils avaient simplement réchappé à une maladie grave et, selon le vœu de leurs parents, pour remercier le Ciel, pendant une certaine période, ils allaient ainsi, révêtus d'une robe de bure.

 

Pendant des siècles, les Franciscains ont façonné l'âme corse autour de la Passion, de la Croix et de la présence permanente de la mort :

Dans la tradition insulaire, les défunts tiennent une place considérable et interviennent en cas de danger.

La nuit de la Toussaint, ils étaient censés revenir en ce monde et en particulier dans la maison où ils avaient vécu. Il leur fallait absolument trouver cette demeure en l'état ou ils l'avaient laissée et la table mise.

Ce soir-là, on mettait donc leur couvert. En règle générale, on y posait un pain et de l'eau, mais, dans certaines familles, on servait le rôti dans les assiettes, tout comme si les morts allaient arriver pour partager le repas.

Le lendemain matin, la famille mangeait les plats ainsi préparés.

Cette communion avec les disparus peut prendre une grande force poétique :

Ainsi, le soir de la Toussaint, on va fleurir les tombes, mais surtout les éclairer avec des lumières rouges dont la flamme résiste aux intempéries.

Dans un village où il n'y a pas de cimetière et où chacun enterre les siens dans son propre champ, on voit toute la campagne illuminée par des centaines de petites flammes vacillantes, comme vivantes....


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D'après des textes tirés de : Corsic@ - Louis Panassié, Prisma Presse - l'Almanach du Corse - Guides Gallimard - Corse, Encyclopédies régionales